Naître à la parole
Elle était muette depuis qu'elle était née. On l'appelait Fluette.
Elle était petite et ne mesurait pas plus de quelques centimètres. Elle avait l'allure d'une fée ; des ailes collées dans le dos, translucides, des yeux immenses et dorés qui lui mangeaient tout le visage. Elle était née d'une mère araignée et d'un père rêveur. D'un père séducteur qui passait ses journées à courtiser les belles demoiselles qu'il croisait sur les sentiers. Il aimait particulièrement les fleurs rebelles.
Toute cette petite famille habitait au creux d'un chêne centenaire. Fluette avait 3 ans quand sa petite sœur vint au monde. Beaucoup plus grande qu'elle, d'humeur chantante et une grande habileté pour parler. Elle portait dans le dos les mêmes ailes translucides, avait les mêmes grands yeux qui lui mangeaient tout le visage mais ceux-ci prirent la couleur chocolat. Agile, farceuse et timide, elle plut tout de suite à Fluette. D'habitude si discrète, cette dernière fut tellement fière qu'elle s'empressa d'aller rapporter la nouvelle à toute la forêt. Elle n'avait jamais quitté les quelques mètres carrés qui entouraient son arbre-maison. Dans l'impossibilité d'émettre un son, elle s'était jusqu'ici toujours sentie inférieure et n'avait jamais pu se faire des amis. Or, voilà que depuis la venue au monde de Chocolinette, elle réussissait à dépasser les frontières pour s'aventurer à la lisière du pays des lutins, un pays voisin et caché. C'était un peu dangereux car il n'y vivait que des garçons que son mutisme semblait enchanter.
Mais c'est ainsi qu'elle fit la connaissance du lutin des arbres verts. Ils communiquèrent spontanément par le regard. « Lutin malin » avait de grands yeux groseille. Fluette n'avait jamais vu pareille couleur de sa vie! Elle évoqua avec lui la naissance de sa sœur, sa beauté, sa bonne humeur mais ils échangèrent bien davantage.
« Lutin malin » lui révéla sa soif de parcourir le monde. Son oncle Sébastien en avait fait le tour et lui avait conté ses aventures. Désormais, il ne pensait plus qu'à faire ses bagages. En l'écoutant attentivement Fluette prit conscience qu'elle aussi rêvait de liberté. Mais il était trop tôt. Le temps n'était pas venu pour elle. Elle ne pouvait s'imaginer abandonner Chocolinette dans les filets de sa mère araignée et à l'absence de son père cavaleur. A moins de l'emmener avec eux? « Lutin malin », qui n'avait pas la langue dans sa poche, lui dit : « Fluette, tu devrais avant tout penser à toi. Tu as des choses à accomplir sur cette terre. Par toi même. De cette sœur il te faudra te séparer. Il te faudra quitter la famille entière. Tes cousines aussi, Mélusine, Géraldine et Grenadine. Il n'y a rien de plus sain que de vouloir découvrir le monde, tu sais? Il est si vaste, Fluette! Tu n'imagines même pas ce que nous allons vivre! J'aimerais tant que tu me suives...Il paraît qu'au delà de notre horizon il existe des montagnes de pierres, des cascades de glace et des sources si douces, Fluette, si douces... Oncle Sébastien disait qu'ailleurs, lorsqu'on lève les yeux vers le ciel, il se remplit de soleil. Et la nuit quand la lune brille, des milliards d'étoiles scintillent.
Ici tu vois nous sommes à l'abri, protégés dans notre bulle. Nous pensons que nous sommes en sécurité mais c'est parce que nous sommes encore des enfants. Il paraît, Fluette, que quand on grandit, quand on quitte les siens, un nouveau monde s'offre à nous. Un monde plus inquiétant, un monde étrange et coloré où toutes les nuances de doré se révèlent. La couleur de tes yeux, elle même, changera quand tu t'en iras. Ils deviendront peut être charbons ou violets qui sait?
Oncle Sébastien dit que tout est incroyable quand la bulle éclate! Ici le monde est trop étroit. Il est magique mais il est irréel. Il faut sortir de l'imaginaire, Fluette. Je crois que c'est à cette unique condition qu'un jour tu parleras. Le souhaites-tu ? Le désires-tu vraiment?
Oh oui je voudrais bien mais mon père me dit que je ne dois même pas y penser, que je me fais des illusions. Bien sûr que non! lui répondit « Lutin malin ». Écoute-moi et n'écoute surtout pas ton père. Je sais déjà parler et je connais d'où et comment vient la parole. Pour cela il te faut gagner de la distance. Fais-moi confiance. Je te parle avec le cœur.
Fluette reçut le message au plus profond de son âme. Elle attendit d'avoir l'âge et le courage et un matin de printemps elle quitta le monde de l'enfance au bras de son ami « Lutin malin ». Ils franchirent un pont de pierres blanches, de larges rivières et quelques océans avant d'accoster sur d'autres rives. Au fil des eaux, les ailes de Fluette fondirent comme neige au soleil. Elle perdit son allure de fée et se mit à grandir, à pousser à la verticale. « Lutin malin » lui rappelait ce qu'elle était jadis et comment à son insu elle évoluait. Il ne l'aida pas dans les épreuves, il ne chercha pas les solutions pour elle. Il lui fit confiance.
Elle apprit que pour avancer dans ce monde nouveau, elle avait besoin du langage. Besoin de mots pour demander secours, besoin de mots pour prier. Peu à peu les lettres se sont accroché les unes aux autres pour construire des idées. « Lutin malin » lui signifia : ce sont les obstacles le long de la route qui ont ordonné ta pensée. C'est parce que dans cette réalité, nous avons tous besoin les uns des autres que la parole peut prendre vie. Parce que l'on se sait petit, parce que l'on se sent fragile que tout naturellement on va vers la rencontre, que l'on commence à se dire. Et l'on finit par prier pour remercier.
Elle était muette depuis qu'elle était née. On l'appelait Fluette.
Elle était petite et ne mesurait pas plus de quelques centimètres. Elle avait l'allure d'une fée ; des ailes collées dans le dos, translucides, des yeux immenses et dorés qui lui mangeaient tout le visage. Elle était née d'une mère araignée et d'un père rêveur. D'un père séducteur qui passait ses journées à courtiser les belles demoiselles qu'il croisait sur les sentiers. Il aimait particulièrement les fleurs rebelles.
Toute cette petite famille habitait au creux d'un chêne centenaire. Fluette avait 3 ans quand sa petite sœur vint au monde. Beaucoup plus grande qu'elle, d'humeur chantante et une grande habileté pour parler. Elle portait dans le dos les mêmes ailes translucides, avait les mêmes grands yeux qui lui mangeaient tout le visage mais ceux-ci prirent la couleur chocolat. Agile, farceuse et timide, elle plut tout de suite à Fluette. D'habitude si discrète, cette dernière fut tellement fière qu'elle s'empressa d'aller rapporter la nouvelle à toute la forêt. Elle n'avait jamais quitté les quelques mètres carrés qui entouraient son arbre-maison. Dans l'impossibilité d'émettre un son, elle s'était jusqu'ici toujours sentie inférieure et n'avait jamais pu se faire des amis. Or, voilà que depuis la venue au monde de Chocolinette, elle réussissait à dépasser les frontières pour s'aventurer à la lisière du pays des lutins, un pays voisin et caché. C'était un peu dangereux car il n'y vivait que des garçons que son mutisme semblait enchanter.
Mais c'est ainsi qu'elle fit la connaissance du lutin des arbres verts. Ils communiquèrent spontanément par le regard. « Lutin malin » avait de grands yeux groseille. Fluette n'avait jamais vu pareille couleur de sa vie! Elle évoqua avec lui la naissance de sa sœur, sa beauté, sa bonne humeur mais ils échangèrent bien davantage.
« Lutin malin » lui révéla sa soif de parcourir le monde. Son oncle Sébastien en avait fait le tour et lui avait conté ses aventures. Désormais, il ne pensait plus qu'à faire ses bagages. En l'écoutant attentivement Fluette prit conscience qu'elle aussi rêvait de liberté. Mais il était trop tôt. Le temps n'était pas venu pour elle. Elle ne pouvait s'imaginer abandonner Chocolinette dans les filets de sa mère araignée et à l'absence de son père cavaleur. A moins de l'emmener avec eux? « Lutin malin », qui n'avait pas la langue dans sa poche, lui dit : « Fluette, tu devrais avant tout penser à toi. Tu as des choses à accomplir sur cette terre. Par toi même. De cette sœur il te faudra te séparer. Il te faudra quitter la famille entière. Tes cousines aussi, Mélusine, Géraldine et Grenadine. Il n'y a rien de plus sain que de vouloir découvrir le monde, tu sais? Il est si vaste, Fluette! Tu n'imagines même pas ce que nous allons vivre! J'aimerais tant que tu me suives...Il paraît qu'au delà de notre horizon il existe des montagnes de pierres, des cascades de glace et des sources si douces, Fluette, si douces... Oncle Sébastien disait qu'ailleurs, lorsqu'on lève les yeux vers le ciel, il se remplit de soleil. Et la nuit quand la lune brille, des milliards d'étoiles scintillent.
Ici tu vois nous sommes à l'abri, protégés dans notre bulle. Nous pensons que nous sommes en sécurité mais c'est parce que nous sommes encore des enfants. Il paraît, Fluette, que quand on grandit, quand on quitte les siens, un nouveau monde s'offre à nous. Un monde plus inquiétant, un monde étrange et coloré où toutes les nuances de doré se révèlent. La couleur de tes yeux, elle même, changera quand tu t'en iras. Ils deviendront peut être charbons ou violets qui sait?
Oncle Sébastien dit que tout est incroyable quand la bulle éclate! Ici le monde est trop étroit. Il est magique mais il est irréel. Il faut sortir de l'imaginaire, Fluette. Je crois que c'est à cette unique condition qu'un jour tu parleras. Le souhaites-tu ? Le désires-tu vraiment?
Oh oui je voudrais bien mais mon père me dit que je ne dois même pas y penser, que je me fais des illusions. Bien sûr que non! lui répondit « Lutin malin ». Écoute-moi et n'écoute surtout pas ton père. Je sais déjà parler et je connais d'où et comment vient la parole. Pour cela il te faut gagner de la distance. Fais-moi confiance. Je te parle avec le cœur.
Fluette reçut le message au plus profond de son âme. Elle attendit d'avoir l'âge et le courage et un matin de printemps elle quitta le monde de l'enfance au bras de son ami « Lutin malin ». Ils franchirent un pont de pierres blanches, de larges rivières et quelques océans avant d'accoster sur d'autres rives. Au fil des eaux, les ailes de Fluette fondirent comme neige au soleil. Elle perdit son allure de fée et se mit à grandir, à pousser à la verticale. « Lutin malin » lui rappelait ce qu'elle était jadis et comment à son insu elle évoluait. Il ne l'aida pas dans les épreuves, il ne chercha pas les solutions pour elle. Il lui fit confiance.
Elle apprit que pour avancer dans ce monde nouveau, elle avait besoin du langage. Besoin de mots pour demander secours, besoin de mots pour prier. Peu à peu les lettres se sont accroché les unes aux autres pour construire des idées. « Lutin malin » lui signifia : ce sont les obstacles le long de la route qui ont ordonné ta pensée. C'est parce que dans cette réalité, nous avons tous besoin les uns des autres que la parole peut prendre vie. Parce que l'on se sait petit, parce que l'on se sent fragile que tout naturellement on va vers la rencontre, que l'on commence à se dire. Et l'on finit par prier pour remercier.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 4 autres membres